L’hôpital Nord du Grand Paris, géant encombrant
Le Monde | 01.09.2015 à 10h31 • Mis à jour le 01.09.2015 à 11h27 | Par François Béguin
Richesse de l’offre de soins, emplois, renommée et attractivité… Quel maire n’accueillerait pas à bras ouverts la proposition d’héberger un centre hospitalier universitaire sur sa commune ? A Saint-Ouen, ville de Seine-Saint-Denis limitrophe de la capitale, l’idée d’héberger le futur hôpital Nord du Grand Paris, un établissement géant qui doit remplacer d’ici à 2025 les hôpitaux vieillissants de Bichat (18e arrondissement de Paris) et de Beaujon (Clichy-la-Garenne, Hauts-de-Seine), a pourtant été reçue fraîchement par les élus locaux. Le futur établissement devrait finalement bien atterrir dans cette ville, mais au prix d’une âpre négociation, entamée il y a maintenant plusieurs mois.
Signe de cette défiance, William Delannoy, le nouveau maire (UDI) de Saint-Ouen, a laissé l’hiver dernier pendant près d’un mois et demi sans réponse les appels de Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Loin de se réjouir de la possible arrivée de centaines de médecins, chercheurs et étudiants sur le territoire de sa commune, il a au contraire eu le sentiment qu’on cherchait à lui imposer cet énorme projet au milieu de la ZAC des Docks, le programme urbain phare de la ville.
S’il refuse dans un premier temps toute discussion, dit-il, c’est pour ne pas entamer un « poker menteur » avec la commune voisine de Clichy (Hauts-de-Seine), également en lice pour accueillir l’hôpital à l’issue de l’examen de 26 sites. « L’AP-HP est arrivée en annonçant qu’elle allait faire cadeau à la commune du plus bel hôpital de France, voire d’Europe, mais pour un maire, un hôpital, ça se valorise moins rapidement que des logements », décrypte un bon connaisseur du dossier.
Avec une emprise au sol d’environ sept hectares, le futur établissement et son campus représentent environ « 1 200 logements en moins à construire », soit une perte de près de 80 millions d’euros en droits à construire, selon les évaluations (revues à la hausse) de la mairie. « Avec un tel manque à gagner, la ZAC aurait coulé et la ville aurait fait faillite », explique le premier édile. « Je ne suis pas prêt à vendre ma ville pour me satisfaire de l’arrivée d’un hôpital », lance-t-il. Devant la tournure initiale du projet, il dénonce également le risque de « fracture urbaine » causé par le futur ensemble dans la ZAC des Docks.
A la Ville de Paris, où l’on juge avoir fait un « effort réel et inédit en acceptant que le futur hôpital soit construit en dehors de Paris », on ne comprend pas les réticences de Saint-Ouen. « Un maire qui se bat pour ne pas avoir d’hôpital, ça ne s’est jamais vu », déplore Bernard Jomier, l’adjoint (EELV) à la maire de Paris chargé de la santé. En optant pour cette stratégie, analyse-t-il, le nouveau maire de Saint-Ouen cherche d’abord à « injecter suffisamment de logements et donc de cadres supérieurs dans sa ville pour consolider son électorat, sur le modèle de ce qu’a fait Patrick Balkany à Levallois ».
Si elle regrette l’approche « comptable et financière » de son successeur, Jacqueline Rouillon, l’ancienne maire (Front de gauche) de Saint-Ouen de 1999 à 2014 et aujourd’hui dans l’opposition, émet également des fortes réserves sur l’arrivée de ce futur hôpital Nord. « On a déjà deux énormes usines, l’une de traitement des déchets – 700 bennes par jour viennent de Paris – et l’autre de chauffage urbain, il faut une juste répartition des gros équipements du Grand Paris », réclame-t-elle. Le gain en termes d’emploi serait par ailleurs limité, ajoute-t-elle, en écho à l’actuel maire, dans la mesure où l’hôpital Bichat, situé en zone limitrophe du territoire parisien, « fait déjà partie de Saint-Ouen ». « Qu’est-ce qu’un nouvel hôpital nous apportera de plus ? », demande-t-elle.
Réunis sous l’égide de la préfecture, les acteurs du dossier seraient aujourd’hui à quelques dizaines de mètres de trouver un terrain d’entente. « Il n’y a plus de réticence, M. Delannoy est maintenant convaincu de l’intérêt de ce projet formidable », se félicite Martin Hirsch, le patron de l’AP-HP, pour qui le dossier est désormais entré « dans la dernière ligne droite ».
Ces derniers 150 à 200 mètres cristallisent pourtant tous les désaccords. Pour préserver sa ZAC, le maire a invité l’AP-HP à se tourner vers une zone limitrophe, propriété d’un fonds d’investissement australien et occupée par des entrepôts. Au cœur des négociations, la distance entre l’hôpital et la future bouche de métro de la ligne 14, à proximité de laquelle les terrains vaudront de l’or. Les promoteurs de l’hôpital avancent la nécessité d’une bonne accessibilité, car près de 5 000 personnes devront se rendre chaque jour sur le site.
« Pour ne pas défigurer la ville, je suis prêt au bras de fer », annonce le maire de Saint-Ouen. « Je ne vois pas pourquoi, face à un projet de cette ampleur, structurant pour le Grand Paris, il n’y aurait pas une prise en compte de l’intérêt général par la mairie de Saint-Ouen », répond M. Hirsch. Alors que la décision devait être annoncée avant l’été, les acteurs du dossier se sont accordés quelques semaines supplémentaires pour parvenir à un compromis.